Le « Tirailleurs » d'Omar Sy fait mouche

Quelques secondes à peine après nous avoir plongé dans un décor de savane sénégalaise, Bakary Diallo (Omar Sy) prend possession de l'écran, sa présence nous intime de le suivre. On comprend en très peu de frames et en encore moins de mots que dans Tirailleurs, c'est lui le patron.



Dans la salle en ce premier jour de sortie en salle de Tirailleurs, la production franco-sénégalaise portant à l'écran l'histoire des soldats africains lors de la première guerre mondiale, le public est d'un éclectisme certain. C'est mercredi après-midi à Paris et avec une pote cinéaste, on se partage la rangée de banquettes rouges avec une septuagénaire aux cheveux argent assise très droite dans son duffle-coat, deux jeunes Noirs en jogging qui ne devaient pas avoir plus de 20 ans à tout casser, et un asiatique échevelé en tee-shirt blanc qui devait avoir couru car en plus de ses cheveux dans tous les sens, il semblait profusément transpirer. J'ai le temps de noter que la salle est bien remplie pour une séance de 16h un jour de pluie, avant que le film ne commence. 

Quelques secondes à peine après nous avoir plongé dans un décor de savane sénégalaise, Bakary Diallo (Omar Sy) prend possession de l'écran, sa présence nous intime de le suivre. Son charisme est comme le flambeau de l'éclaireur qui nous illumine en montrant la voie tout le long du film. Bref, il en impose. Omar Sy a un physique et Dieu sait qu'il sait en jouer! Sa démarche, l'éclat de son regard tantôt attentif et tantôt grave, sa voix qui nous entraine via une narration exclusivement en peul, on comprend en très peu de frames et en encore moins de mots que dans Tirailleurs, c'est lui le patron.

Ok, chef. On te suit. 


On ne raconte pas l'histoire de héros mais d'hommes. 

Le film suit donc l'histoire d'amour paternel entre Bakary Diallo (Omar Sy) et son fils Thierno (Alassane Diong) avec en toile de fond la Der' des der'. Je ne suis pas friande de films de guerre d’habitude. Trop complaisant, trop souvent dans la propagande. Et si je ne suis pas contre un peu de mièvrerie sur grand écran, j'ai toujours trouvé les tropes des films de guerre assez déplacés. Bref, Tirailleurs est un film de guerre, d'accord mais pas trop et en bien. 

On voit l'attention portée aux costumes d'époque et au décor, on comprends qu'il y a des enjeux militaires qui dépassent les protagonistes mais qui tout à la fois les ont traîné dans ce bourbier-là. Happée par la détermination de Bakary à trouver un moyen d'extirper son fils de ce piège, ces considérations militaires me semblent presque lointaines. L'histoire est racontée du point de vue de Bakary, et pour Bakary cette guerre n'est pas la sienne. Elle n'est que l'obstacle qui le sépare lui et son fils de leur vie au Sénégal auprès des leurs.

Le portrait que dresse le film des tirailleurs rend bien compte de la diversité de leurs parcours. Le front est le carrefour où se croise ces hommes d'ethnies, de pays, de religion, d'âge et d'ambitions différents, unis dans un seul but : survivre. En cela, le film porte bien son nom. Il ne porte pas sur les tirailleurs sénagalais mais sur les tirailleurs en général.


La vie des Noirs compte 

Sans entrer dans un discours militant, Tirailleurs aborde l'injuste et implacable puissance coloniale qui arrache des âmes à leur terre pour venir servir, dans sa guerre, de chair à canon. (Un écueil que Woman King a eu plus de mal à esquiver). Pour entrer dans la polémique lancée par les propos tenus par Omar Sy qui dénonçait l'émotion à géométrie variable des Français selon les guerres, je dirais que ce film semble être une réponse à la déshumanisation usuelle qui est faite des protagonistes de conflits quand ils sont Noirs. Cette représentation de la réalité coloniale fera grincer les dents des partisans d'une histoire française aseptisée et apologétique. Tant pis !

Tirailleurs donne une vie et une voix à ces soldats. Certains sont plein d'humour, d'autres roublards, certains sont serviles, d'autres courageux et respectueux. Une galerie de portraits qui ne tombe pas dans la complaisance et qui ne manquera pas de résonner chez les descendants de ceux à qui l'hommage est rendu.

« In Moonlight, black boys are blue »


Le film est en soi de toute beauté, des images, aux couleurs et ce jusqu'à la peau noire des personnages sur l'écran, du grain fin et lumineux d'un tableau réaliste du XIXème. La colorimétrie est soignée. Du bleu horizon des uniformes, aux reflets bleutés que prends la peau noire de nos boys au front la nuit tombée, on nous régale d’une belle palette de couleurs dont un nuancier de bleus digne d’un tableau impressionniste. Je dirais que dans Tirailleurs comme dans le film Moonlight de Barry Jenkins, « la nuit les Noirs sont comme bleus ». 

Dire que j'ai apprécié le film est un euphémisme ! Ce qui m'a le plus touché, c'est cette représentation de black love trop peu portée sur écrans. L'amour d'un papa noir et de son fils. Un amour qui ne se proclame pas mais qui ne fait jamais aucun doute. Tirailleurs est donc un film de guerre et un film d'amour. Sans être mièvre dans l'un comme dans l'autre genre ! Vrai exploit.

Quand on regarde de plus près les fils tissés pour produire cette fresque, on distingue les contours d'autres thèmes encore que la guerre, le colonialisme ou la relation père-fils. Tirailleurs est aussi un film sur le coming of age d'un adolescent sénégalais qui se retrouve à devoir définir son identité, tracer sa voie et sortir du giron de son père entre moments de camaraderie arrosés, excursions sur le front endeuillées et l'entraînement à quelques pas de corps décomposés.

Mais c'est aussi un buddy movie. Bakary et Thierno ont une relation père et fils claire au Sénégal. Mais une fois raflés vers la France, la relation change. Thierno parle à son père comme à son égal. Ils sont tous deux soldats désormais. Et dans cette lutte désespérée pour leur survie, Bakary et Thierno deviennent même coéquipiers. L'un va emprunter une voie plus officielle en fraternisant avec le commandement et l'autre choisit d'avancer dans la clandestinité. Bakary qui ne s'est pas engagé pour chercher la fortune ou la gloire, n'a qu'une idée en tête: ramener son fils dans leur terre. Quitte à y laisser la vie.

C’est aussi un film sur la transmission des traditions. Un homme transmet son savoir à son fils sur un terrain qu’il maîtrise. La chasse. La savane. Puis tout bascule en terrain inconnu et hostile. La pratique continue des marqueurs traditionnels (le respect des aînés, les rites religieux..) permet aux personnages de maintenir du sens, de garder un semblant de contrôle et d’identité, toutes ces choses que la guerre, l’armée et le statut de colonisé peuvent leur enlever. 

Bakary et Thierno incarnent deux approches opposées de la survie. En 2022, ces deux approches irréconciliables continuent de diviser la communauté noire militante. Pour survivre dans le milieu hostile de la France aujourd'hui, faut-il essayer d'intégrer le système et essayer de le changer de l'intérieur ? Ou vaut-il mieux l'attaquer de l'extérieur voire pas du tout et fuir complètement la ligne de front ?

En accord avec son personnage, Omar Sy semble avoir choisi.

Le point faible

Si vous êtes une femme noire et que vous allez lu cette critique jusque là, ce dernier point ne vous surprendra pas. Tirailleurscomme d'autres production mettant à l'honneur de beaux personnages d'hommes noirs, nous propose des personnages féminins dont la description doit tenir sur une vignette de timbre. Pauvres, pauvres personnages féminins. Des femmes en carton-pâte. Servant de décor quand elles sont blanches, les Française dans le film sont toutes d'une blondeur bien nordique, bien Ikea. Les Sénégalaises ne gagnent pas au change même si elles échappent à la sempiternelle scène de nymphe dénudée et ne sont pas autant objectifiées. On pourrait avoir une conversation pour essayer de comprendre pourquoi les hommes sont incapables d’écrire des personnages féminins avec le même brio que lorsqu'ils sont masculins ?

J'ai quand même pleuré à la fin. 

Les derniers mots qui vont clore le film restent encore suspendus dans mon esprit et résonneront probablement à chaque fois que je passerais devant l'Arc de triomphe. La mémoire de nos ancêtres est dans de bonnes mains. Vu la queue devant la salle à notre sortie de la séance, je me dis que quelque part à Paris ce soir, Omar Sy dormira heureux. 

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